La morale a-t-elle un rôle à jouer dans les sciences ?
C'est un corrigé avec le plan, quelques pistes a suivre. Facile à comprendre, il m'a valu d'avoir un 16.
I. L'analyse du sujet
Le terme "morale" peut être considéré sous différents angles. Il peut s'agir des exigences morales dont est porteur le savant au même titre que n'importe quel autre être vivant en société.
Il peut aussi s'agir de la déontologie - i.e. de l'ensemble des règles et des valeurs qui guident sa conduite - dans le domaine de recherche qui est le sien. Bien sûr les deux sens sont reliés car il parait difficile de couper le second du premier mais il ne faut pas ignorer que le savant se trouve confronté à des responsabilités spécifiques. Le savant peut-il se contenter de dire "je m'occupe de ma recherche et rien d'autre ?" Toute vérité est-elle bonne à divulguer ? Ne peut-il pas aussi à l'occasion prévoir quels usages peuvent être faits de ses découvertes ?
Peut-il se voir, dans ces conditions, attribuer une responsabilité lorsque des conséquences indésirables découlent de ses travaux ? Comment doit-il réagir lorsque ses travaux sont financés par des institutions dont les finalités n'ont rien de scientifique ?
Doit-il accepter le rôle d'expert que les politiques et parfois certains intérêts privés veulent lui faire jouer ?
La science moderne s'est constituée à partir du XVIIe siècle autour de l'idée de publicité des raisons : en opposition à l'alchimiste qui officie en secret pour des initiés, le savant moderne expérimente, publie ses résultats et livre ses arguments à l'examen et à la discussion.
La conséquence de ceci est que ces résultats deviennent exploitables à des fins étrangères aux buts de la science : économiques, militaires etc.
En étant publiés les travaux scientifiques sortent du cercle des gens qui y sont scientifiquement intéressés.
Ceci est d'autant plus vrai que la recherche est financée soit par l'Etat (comme le souhaitait déjà BACON) soit par des fondations privées qui sont aussi soucieuses de récupérer le fruit de leur investissement.
Se pose donc la question de l'articulation entre science et technique.
On appelle aujourd'hui "technique" une pratique rationnelle, en fait une pratique fondée sur l'application de connaissances scientifiques.
Le savant peut-il être tenu pour responsable des utilisations technologiques de son travail ? Doit-il leur être indifférent ? Peut-il s'en tenir à une éthique de la recherche de la vérité sans aucune autre considération
II. Développement
A. Science et technique
Le caractère public de la recherche scientifique (publicité des raisons, voire du financement) entraîne des conséquences étrangères au travail scientifique lui même.
L'exploitation technique des résultats de la science appartient aux politiques ou à des intérêts privés. Cette exploitation entraine des conséquences qui ne sont pas voulues par le savant ni même parfois par ses promoteurs eux-mêmes (cf : notion de risque technologique).
Quelle attitude le savant doit-il adopter face à cela ? Doit-il considérer que l'exploitation de ses résultats ne lui appartient plus et que sa seule tâche est la recherche de la vérité ?
Dans ces conditions, le savant pourrait se contenter d'une déontologie au sens strict c'est à dire de règles régissant ses relations avec ses pairs : il pourrait alors se sentir quitte en observant des régles d'honnêteté intellectuelle, en ne s'attribuant pas des vérités trouvées par d'autres etc...
La question est de savoir si le savant peut sans remords abandonner à d'autres l'exploitation pratique de son travail. Ceci est d'autant plus vrai que l'on s'attache aux sciences appliquées, mais la recherche fondamentale n'échappe pas non plus à cette question. Il suffit de penser par exemple à l'utilisation militaire de la recherche nucléaire.
B - Les fondements de la relation science/technique
Ceci nous amène, sur un plan plus ontologique, à repérer certains enjeux fondamentaux de la relation science/technique : si on attribue une responsabilité au savant, au delà du respect des règles élémentaires du travail scientifique, c'est parce que la science produit des phénomènes que la nature, livrée à elle-même ne produirait pas. Ces phénomènes peuvent être tenus pour naturels (en ceci qu'ils suivent une loi de la nature) ; mais ce sont aussi des artifices en ceci que ce sont de purs produits du travail de laboratoire. Comme l'avait bien vu HANNAH ARENDT, les frontières du naturel et de l'artificiel sont ainsi brouillées à mesure que la science démultiplie nos possibilités d'action sur la nature. Par ce fait même, le savant se trouve "engagé" socialement et ontologiquement, plus qu'il ne le voudrait peut-être, ceci conduisant à détruire la fiction d'une autonomie absolue du champ scientifique. Mais n'impute donc-t-on pas au savant dans ces conditions des conséquences qu'il n'a à aucun moment voulues ? Et ceci n'est-il pas de nature à inhiber le travail de la recherche ?
C - Déontologie du savant et morale du citoyen
Il convient alors de distinguer entre le point de vue du citoyen (que le savant occupe comme n'importe lequel de ses contemporains et y compris par rapport à ses propres actes) et la logique propre à l'investigation scientifique.)
Lorsque le savant proteste contre telle ou telle exploitation technique faite du travail scientifique, c'est en tant que citoyen qu'il intervient, même si son travail scientifique lui donne précisément des moyens de jugement que n'a pas forcément le citoyen de l'espèce ordinaire. C'est alors en tant qu'expert qu'il intervient. Mais c'est moins d'une morale propre à la science qu'il s'agit que d'une attitude morale du savant en tant que citoyen. Reste que cette attitude peut entrer en conflit avec les régles scientifiques de divulgation et de publication, en particulier si l'intéressé anticipe certaines conséquences indésirables de son travail. Doit-il alors pratiquer la rétention d'information (en violation des règles professionnelles et peut-être contre son intérêt de carrière) ? Doit-il au contraire borner son action de citoyen à une mise en garde ?
Références utiles
WEBER : le savant et le politique ARENDT : la crise de la culture (en particulier le chapitre sur le concept d'histoire)
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